AUQUAINVILLE | Samantha CARETTI
Auquainville (église Saint-Aubin et promenades)
Église Saint-Aubin d'Auquainville. (Photo : Samantha CARETTI | Juillet 2024)
La campagne normande mise en fiction
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Astolphe de Custine, Le Monde comme il est, 1835.
« On aime si peu la campagne en France, que les parties les plus intéressantes de nos provinces sont encore presque inconnues aux habitans de Paris, tandis que les personnes du pays attendent l’autorisation de la capitale pour jouir en sécurité des charmes de leur terre natale. […]
Mais, pour ne nous occuper maintenant que du sentiment de la nature, qui jamais a entendu parler à Paris des bords de l’Orne ? quel peintre nous a révélé les beautés pittoresques de la sauvage et profonde vallée qu’arrose cette rivière ? Hors quelques propriétaires, plus occupés du prix des bois et du taux auquel s’afferment leurs prairies que des agrémens d’une contrée agreste, je ne connais personne ici qui sache nous dire l’élévation des rochers de Pont-d’Ouilly, ni combien les eaux de Pont-Écrepin sont vives, ni l’effet imposant des hauts coteaux couverts de bois et de genêts qui bordent le cours tortueux de l’Orne, à l’entrée du Bocage Normand. Ce pays, si riche en beaux sites, commence pourtant à cinquante lieues de Paris et la nature y déploie toute sa variété, tout son éclat. Mais ce luxe ignoré est perdu pour des âmes pauvres, anti-poétiques, et qui ne comprennent de la vie que les combinaisons de l’intérêt ou de la vanité. »
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Les promenades du « troubadour de Fervaques », Henri-Philippe Gérard, ami musicien des Custine
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Henri-Philippe Gérard, Lettre descriptive à M. le Cte Astolphe de de Custine, 1821.
« Promenades
[…]
Première. Au nord du château, celle d’Hoquainville [sic], par le préveron et les champs labourés qui sont sur la gauche, en de-çà de Saint-Aubin ; et de suite, par l’un de ces chemins presque entièrement couverts du feuillage des arbrisseaux et des grandes haies qui bordent les prairies à droite et à gauche, lequel conduit à une petite éminence dont l’herbe et les ronces recouvrent un tertre ou monceau de ruines, où l’on aperçoit encore debout quelques restes d’un ancien château ; de là l’on passe auprès ou par le cimetière de la silencieuse église de ce hameau, dont la position élevée, ainsi que le massif d’arbres qui l’entoure, forment un joli point de vue pris en perspective de tous les points de l’autre côté de la vallée.
Si l’on continue à suivre le chemin qui descend dans la vallée, l’on rencontre bientôt le courant des eaux de la rivière, lesquelles, séparées d’abord par plusieurs petits îlots, viennent se réunir auprès et autour de la maison si champêtre du meunier, y font tourner plusieurs roues de moulins, et passent un peu plus loin sous un pont d’où elles tombent en nappes, à gros bouillons et avec fracas, dans un bassin large et profond où, et avant d’en sortir, elles refluent par les côtés vers le point de leur chute, comme pour en mesurer la hauteur ; puis s’écoulent tranquillement dans les prés, sous des saules et des buissons qui, placés çà et là, les ombragent, semblent s’y mirer, nous en désignent aussi le cours sinueux et ajoutent aux charmes de leurs bords toujours verts.
Deuxième. A l’ouest-nord, celle des bois de Bernière et de Caudemonne, lesquels dominent la
​L'église Saint-Aubin d'Auquainville, lieu du souvenir
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Astolphe de Custine, Lettre à Sophie Gay, [21 mai 1828], Archives privées, transcription : coll. particulière, droits réservés.
« Il fallait laisser ses impressions s’affaiblir avant d’essayer de les rendre, et même encore aujourd’hui je ne pourrai vous parler que d’un tombeau. Vous ne connaissez pas ce lieu. Vous ne savez pas qu’à l’une des extrémités de ma propriété, il y avait une petite église champêtre qui tombait en ruines ; c’était une paroisse supprimée. Je l’ai achetée, réparée, j’y ai fait creuser un caveau, et j’en ai fait notre sépulture. Cette église est sur la pente d’un coteau qui domine une des vallées les plus fraîches du frais Pays d’Auge, elle est entourée d’un bouquet de vieux ormes dont le sommet laisse à peine passer la pointe du clocher, et qui font du cimetière un jardin. L’intérieur de cette église est aussi propre que modeste, mais on y reconnaît un soin qui vient du cœur. Jenny a employé ses bijoux à parer la Vierge, ses plus belles robes sont converties en nappes d’autel, des statues grossières sont couvertes de dentelles et de broderies, et leurs niches sont combles de fleurs toujours rafraîchies : c’est un culte sans faste mais non sans luxe, c’est le culte de la reconnaissance. Cette douleur pieuse est une vraie consolation pour moi. Ce monument était le seul qui pût convenir à ma mère, elle avait choisi cette sépulture modestement religieuse. Deux dalles de marbre avec une croix au milieu du chœur racontent mes malheurs sans phrases, des dates et des noms disent toute l’histoire. Ma femme, mon fils, ma mère, il n’y manque que moi, et le caveau sera fermé !... N’allez pas me croire entièrement absorbé dans ces tristes pensées ! Une vie occupée et reposée a du charme pour moi, après une distraction de deux ans. Les distractions ne distrairaient plus si elles devenaient habitudes ! Je ne suis pas plus mal ici qu’ailleurs, au contraire, et, sans les cruelles illusions que me causent des lieux où rien n’est changé que ce qui y répandait la vie, je pourrais y rester. Mais il m’arrive trop souvent dans la journée de tourner les yeux vers la porte comme si ma mère allait l’ouvrir. »
Astolphe de Custine, Lettre à Sophie Gay, Fervaques, 22 juin [1828], Archives privées, transcription : coll. particulière, droits réservés.
« Nous restons ici jusqu’au 15 juillet, car j’y veux passer le second anniversaire du 131. Après ce jour, je quitterai Fervaques, mais pour un mois seulement. […] C’est un chagrin, mais on ne s’aperçoit guère des nouveaux chagrins (surtout de ceux qui ne sont pas déchirants), quand on habite un lieu où ce qu’on trouve de plus gai, c’est le cimetière. Il est très sûr que je respire chaque fois que je vais à St-Aubin, et que j’étouffe chaque fois que je rentre à Fervaques. Mais aussi, quel temps ! Dans les vilains climats, je ne crains que la belle saison, car l’hiver est désagréable partout. »
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1 - Celui du décès de sa mère.
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vallée de ce côté : puis, en prenant sur la gauche, celle qui conduit à la Pommeray, aux demeures si tranquilles qui peuplent l’un des côtés et les alentours de la platte-forme aux beaux arbres ; endroit charmant et des plus pittoresques, dont Madame et vous avez dessiné le joli paysage. Par le nom de platteforme, j’entends cette belle et longue prairie, élevée entre deux petits vallons qui semblent la soulever, lesquels vallons se rejoignent à l’autre bout où ils n’en forment plus qu’un seul. Je désigne cet endroit par ce dernier qui se dirige ensuite et va se rendre dans la grande vallée près du moulin de Prêtre-Ville, au pied de la jolie terrasse qui fait face à ce village.
Le retour de cette promenade, à partir de la platte-forme, a ordinairement lieu par les bois des ventes et les plains d’à côté ; et de suite, par l’un ou l’autre des deux vallons qui avoisinent et font ressortir, de chaque côté, le coteau boisé sur lequel est située la petite église de Saint-Aubin. »
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L'auteur
Samantha CARETTI
Présidente de la Société des amis de Custine, Samantha CARETTI est docteur en littérature et professeur de lettres modernes. Elle prépare l'édition de la correspondance de Delphine et Astolphe de Custine. Originaire du pays d'Auge, elle s'intéresse tout particulièrement aux rapports des Custine avec la Normandie.
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Bibliographie :
- « Quête d’une écriture, révélation d’une vocation : à propos de quelques lettres inédites d’Astolphe de Custine à la comtesse de Genlis (1819-1827) », Orages. Littérature et culture 1760-1830, n°21 « Temps insensés », 2023.
- « Mémoire et Imagination : la Normandie dans l'œuvre et la correspondance de l'écrivain Astolphe de Custine, châtelain de Fervaques », Revue de la Société historique de Lisieux, juin 2019.
- « Astolphe de Custine épistolier : paradoxes d’un « mondain » intime », Le Magasin du XIXe siècle, n°10 « Réseaux », octobre 2020.
- « La vérité et l'idéal : Astolphe de Custine, lecteur de George Sand », Cahiers George Sand, n°41, septembre 2019.
- « Peindre vrai : enjeux esthétiques et poétiques du récit de voyage chez Custine et Stendhal », HB Revue internationale d'études stendhaliennes, n° 23, 2019.